Peter Knapp, c’est à Penninghen (l’ESAG – Ecole Supérieure d’Arts Graphiques) que je l’ai connu. C’était en 1989-90. Il excellait dans son rôle de professeur de photographie nous inculquant aussi bien l’art du cadrage que celui de la direction artistique. Celle-ci permet une prise de hauteur similaire à ce qu’il a entrepris à 25 ans pour le magazine “Elle”, le jour où il a bouleversé radicalement la maquette et l’écriture photographique de ce dernier, en offrant au lectorat féminin un nouveau regard sur la mode.
Son cheval de bataille a toujours été le croquis d’intention, un simple dessin évoquant la future photo et portant les prémices de sa composition. Pas juste une idée mais la mise en forme de cette dernière. Au croquis d’intention se succédaient à un rythme effréné le choix de la bonne image sur planche contact, puis son tirage définitif. Ses sujets, parfois obscurs pour le photographe en herbe que j’étais, comme “l’art dans la rue”, “l’architecture dans le paysage” ou tout bêtement “la modernité”, restent totalement actuels aujourd’hui.
En 2006, alors qu’il était le président du mois de la photographie, il a utilisé mon premier ouvrage, ”Téléphérique pour l’enfance” comme l’illustration de la photo imprimée portée par une maquette au service de l’histoire racontée. Je jubilais littéralement.
DÉCOUVREZ UN EXTRAIT DE L’INTERVENTION DE PETER KNAPP,
À LA MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE.
Trois ans plus tard, je le contactais pour le rencontrer à nouveau afin de réaliser son “portrait reportage” comme je l’avais fait précédemment avec Marc Riboud. Il a tout de suite accepté.
J’allais entrer dans l’intimité d’un artiste complet, d’un expérimentateur, d’un casseur de codes établis, une sorte de visionnaire de son temps, sur organisé, collectionneur et radical dans certains de ces choix, comme celui d’arrêter la peinture qui ne lui apportait pas suffisamment.
Je l’attendais à la gare du RER où il devait venir me chercher. Tout juste entré dans sa voiture, nous avons échangé sur l’art, la peinture, César son ami, la photographie et la ténacité nécessaire pour faire Penninghen. Je découvrais un homme tout en douceur, loin du maître photographe que je craignais lors de mes études.
À peine chez lui, il m’a offert son image avec une générosité sans précédent.
Je me suis tout de suite senti à l’aise, dans son atelier, dans son bureau, son salon, son autre atelier rempli d’œuvres emballées, prêtes à être exposées.
Dehors, dedans. Dans la cuisine, dans le jardin. Après m’avoir aidé à attraper tout ce que je désirais avec mon appareil, il a sorti à son tour le sien et m’a pris en photo.
De loin. Très loin de là où je me positionnais, moi qui l’ai photographié de si près.
Sur le chemin du retour je repensais à nos discussions d’égal à égal, sur des sujets aussi bien généralistes que techniques ou personnels. Je comprenais de mieux en mieux ce qu’il m’avait apporté, mais surtout j’entrevoyais là où je pouvais continuer à creuser.
J’avais produit tant d’images de Peter, ce 3 octobre 2009 entre 10h20 et 12h55, qu’il m’a fallu plus d’un an pour les digérer, m’en détacher et ne garder que les essentielles, une trentaine. Je lui en ai offert un jeu. Il a apprécié tout particulièrement les cadrages affirmés des portraits de sa personne comme de son environnement, dans lesquels il se reconnaissait totalement.
Nous avons réitéré cette expérience en 2018 lors de sa rétrospective à la Cité de la mode et du design. Tout en me faisant une visite privée, il jouait avec l’espace en se positionnant entre ses tirages grands formats. Il était devenu mon modèle au milieu des regards des mannequins présents sur ses photos. Je n’avais qu’à appuyer sur mon déclencheur pour fixer l’image que Peter avait totalement composée mentalement. Il avait 85 ans à cette époque et il bougeait avec une souplesse incroyable. Il marchait plus vite que moi.
Nous sommes maintenant en 2023, il a 92 ans et j’échange toujours avec lui une à deux fois par an au téléphone.
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