J’avais rendez-vous le 19 mars 2009 chez Marc Riboud afin de réaliser le premier “Portrait reportage” de photographes. Rencontre qui allait être le déclencheur de toute une série d’autres “Portrait reportage” à venir (Klein, Salgado, D’Agata, Gibson, Green, Huguier…)
Je n’étais pas très rassuré quand je grimpais, marche après marche, l’escalier menant à la porte de son appartement à proximité du jardin du Luxembourg. Décider de photographier un des reporters incontournables de l’agence Magnum, internationalement connu grâce à certaines de ses photos ayant fait le tour du monde, était une gageure. Mais rien ne pouvait me faire rater une telle opportunité.
Arrivé sur son palier, je fus accueilli par sa femme aux cheveux argentés. “Marc n’est pas encore arrivé“ m’a-t-elle dit. Plus d’une heure plus tard, quelques échanges cordiaux et plusieurs verres d’eau ingurgités, le téléphone sonna. Son mari l’informa qu’il avait croisé une manifestation et qu’il allait y rester faire des photos. Pour le rendez-vous, il proposa de le reporter.
Trois jours plus tard je me retrouvais au même endroit. Nous étions un dimanche et j’étais accompagné de mon fils de 7 ans, Elia. Je sonnais, Marc Riboud ouvrit la porte lentement, leva la tête très doucement et je découvris un regard profond. Une tension indescriptible monta en moi.
Nous traversâmes l’entrée puis le salon où était déposé un grand tirage à même le sol. Nous avons terminé dans son atelier. Des tiroirs, des boîtes de tirages aux numéros sûrement compréhensibles que par lui ou par son assistant tapissaient les murs de la pièce. Une grande table était recouverte de documents divers et de cartes postales, reproductions de certaines de ses photos. Il s’assit à son bureau, me scruta puis me demanda ce que je souhaitais faire comme images.
D’une manière sûrement assez gauche je lui dis que je désirais le prendre dans son univers personnel, au milieu de son matériel et de ses photographies et que s’il pensait à une image incontournable de sa production, j’aimerais réaliser son portrait avec cette photo entre ses mains. “Des photos de moi, il y en a plein la table” me rétorqua-t-il en me montrant les cartes postales. Ce n’était pas du tout ce que j’avais imaginé. Je fis alors une photo en contre plongée, les cartes postales en premier plan, lui en fond et en tout petit.
L’ambiance était lourde, assez pesante et plus le temps s’écoulait et moins je trouvais une manière de décontracter ce personnage. Je lui offris “Téléphérique pour l’enfance”, mon livre sur la montagne, ce qui ne changea rien à son comportement.
D’un coup, il enroula ses doigts pour former un rond avec sa main puis porta son œil au centre de ce viseur imaginaire en fixant mon fils. Une manière sûrement de m’aider qui me crispa encore plus, ou de bien marquer l’écart radical entre celui qui sait faire des photos et moi.
Je sortis de cette séance totalement détruit, décomposé, incapable de savoir si je repartais avec les images espérées. Mon fils quant à lui avait passé un bon moment avec cette drôle de personne qui avait joué avec lui.
Avant de me quitter, Marc Riboud avait évoqué son intérêt pour des rencontres avec des collectionneurs amateurs de son travail. Le mettre en contact avec ce profil de personnes était une belle occasion de continuer mon expérimentation.
Quelques temps plus tard je me retrouvais à nouveau chez lui avec l’un de mes plus proches amis, Patrick, un vrai passionné. Je photographiais cette rencontre – photographe collectionneur -, plus décontracté que la fois précédente. De leurs échanges aux mains de Marc Riboud montrant certains détails de ses images, de son Leica à ses rangements numérotés, j’attrapais tous ce qui se présentait à moi.
Il me laissait faire, peut-être trop absorbé par sa présentation ou juste parce qu’il en avait envie.
Comme Patrick l’avais mis en contact avec deux autres collectionneurs et qu’ils lui ont acheté à eux trois neuf photos, Marc Riboud m’a offert un tirage pour me remercier. Quel acte d’élégance pour cet homme qui cherche à être craint au premier abord, peut-être poussé par quelques dernières traces de timidité !
Puis j’ai eu son accord de continuer mon « portrait reportage“ chez Publi Mode, son laboratoire. Ainsi j’ai pu suivre chaque étape de la production de cette photo qu’il m’avait offerte : du tireur dans la chambre noire au retoucheur accroché à son pinceau, du négatif dans sa pochette cristal à l’emballage du tirage dans du papier de soie.
Peu de temps après, Marc Riboud me signa mon tirage photo. J’étais une fois de plus de retour chez lui. J’ai ainsi pu réaliser son portrait aux côtes d’une de ses photos incontournables. Il m’expliqua même la signification des Kanjis inscrits sur les banderoles au dessus de la foule chinoise.
J’avais enfin l’image imaginée depuis le début. Merci Marc.
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