18h précises, le 26 avril 2011 dans un club de jazz du boulevard Sébastopol
…Deux mois plus tard j’ai rendez-vous avec Francesco Bearzatti au concert d’Henri Texier dont il est le sax tenor et le clarinettiste. La rencontre se passe au Duc des Lombards, un des lieux incontournables du jazz parisien.
Il s’agit juste de faire connaissance. Pourtant je suis certain de produire des images, je ne l’imagine même pas autrement. Je traverse tranquillement les petites rues des Halles sur mon vélo pliable, mon matériel de prises de vue dans ma banane photo. J’aime arriver en avance quand je réalise un reportage. Ressentir l’atmosphère avant de démarrer est un luxe auquel je tiens.
Assis dans une semi-obscurité, mon ordinateur sur les genoux, je me trouve aux côtés de Francesco Bearzatti. Cela fait maintenant une dizaine de minutes que je l’ai rencontré. Il regarde avec attention la présentation animée de mon projet sur le jazz. Il a peu de temps avant d’entrer en scène. Sans un mot il observe les diapositives défiler les unes après les autres sur l’écran de mon portable. Fondu au noir, le document s’arrête. Il me regarde enthousiaste et accepte immédiatement de participer à cette folle aventure : associer poésie, photographies, dessins, musique, voix et design dans un diaporama animé, appelé aussi pœm (petite œuvre multimedia).
Il m’invite au concert et m’autorise à le prendre en photo, là où normalement il est interdit d’en faire. Mon appareil autour du cou, j’attends le début de sa prestation. Je tourne autour de la scène de ce lieu mythique pour trouver la bonne place, la plus photogénique. Il y a peu d’espace pour bouger, pour attraper les différents angles de vue. Une femme s’approche de moi et m’informe que je ne pourrai pas me déplacer pendant le concert pour ne pas déranger l’équipe du Duc.
Pourtant la dernière fois que je m’y étais rendu, c’était différent. C’était il y a longtemps. C’était un soir d’anniversaire du mois de février avec ma femme. La scène était de l’autre côté. Sur le bord droit Franck Avitabile jouait du piano et moi je prenais des photos comme à mon habitude. A l’époque c’était autorisé. La scène était-elle plus grande ? Je ne m’en souviens plus. Moins exiguë, peut-être !
Je suis à nouveau du côté droit. J’ai trouvé ma place ; deux mètres de superficie, deux objectifs et deux sets identiques, soit deux fois le même concert pour chercher, me tromper, rater, recommencer encore et toujours les mêmes images. Cadrages trop bougés ou pas assez serrés, aux flous illisibles ou aux tests à creuser. Toujours trop d’images au point de me demander une fois de plus pourquoi j’en ai fait tant. Inquiétude de ne pas avoir la bonne, mais la bonne quoi ? Besoin de me rassurer sûrement.
Le premier set est terminé, je me retourne et j’aperçois au milieu de la scène un homme qui ressemble tellement à Bertrand Tavernier que c’est lui. Deuxième moment fort de la soirée, après la rencontre avec Francesco. Je vais au devant du réalisateur d’Autour de minuit, ce film sur le jazz qui s’est inscrit en moi lorsque j’étais adolescent. Cette histoire où François Cluzet joue le rôle dérangeant d’un passionné de jazz qui dépasse les limites de la place du spectateur habituel pour devenir tellement l’ami du musicien qu’il finit par se perdre dans la vie de l’autre. Ce film que j’ai usé à force de faire tourner la cassette vidéo dans le magnétoscope, ce film qui m’a fait découvrir une forme particulière de rencontre jazzistique. Ce fut une véritable expérience de jeunesse par procuration. Quelques décennies plus tard j’ai transformé ces souvenirs en poèmes, parce que je n’avais pas d’autre choix.
Aujourd’hui je me retrouve face à ce réalisateur qui m’a tant marqué par petites touches successives. Ce réalisateur que je cherche à contacter depuis plusieurs mois déjà pour lui demander d’écrire l’édito de mon recueil de poésie sur le jazz, est ici, devant moi, sans que je l’aie cherché. Beau cadeau de la vie. Je lui parle brièvement de mon projet, il m’écoute, me donne sa carte de visite, me dit être très pris en ce moment. Me propose de le rappeler d’ici 6 mois. Très belle soirée.
Les semaines et mois qui suivirent furent divisés entre des recherches sur mes dessins, mes textes, mes photographies et une réflexion sur la façon de les faire vivre ensemble. Le tout ponctué de reportages successifs sur Francesco au sein de formations aussi variées que celles d’Emmanuel Bex, de Mauro Gargano, d’Henri Texier, de groupes éphémères et expérimentaux ou du sien, le Tinissima quartet. Du New Morning à l’Alhambra, du Sunrise aux Rendez-vous de l’Erdre, du Petit théâtre du sourire au Triton, j’ai baladé mon œil sur une certaine forme de jazz, incarnée par la personnalité musicale de Francesco.
Puis il y a eu ce soir, avant le début du concert dans la cave du Sunset, rue des Lombards, où Francesco a appris qu’il était nommé meilleur joueur de Jazz européen 2011 par l’Académie du Jazz. Cette nomination semblait importante pour lui, je ne pouvais pour rien au monde la manquer…
Très prenant et passionné… comme un roman… j’attends la suite !
Poésie, jazz… très émouvant. Comme AEK j’attends la suite !