11h 25 environ, le 4 février 2011, au “Pain quotidien” de la rue des Petits carreaux
Comme chaque matin depuis des mois je travaille au café en bas de l’agence, sur une grande table. Toujours à la même place, près de la prise électrique, indispensable compagnon de mon ordinateur. Toujours avec la même commande ; un thé lapsang souchong et une planche baguette. Au calme, la tête incrustée dans ma machine, je suis plongé dans la structuration d’une stratégie pour un client qui se questionne sur son identité. Personne ne me dérange et la musique m’accompagne tout au long de la matinée. Véritable cérémonial qui m’aide à concevoir sans être perturbé.

La salle du “Pain quotidien”, le matin avant l’arrivée des habitués, des par hasard et des touristes
Ce matin-là à la table d’en face, une petite table, un garçon italien – je le saurai par la suite -, lève la tête de son ordinateur, me salue comme un habitué du lieu et engage la conversation. Il décline son identité et même un peu plus, je fais de même. Nous échangeons sur notre quotidien, sur ce qui nous fait lever le matin. Il est chercheur, fait des conférences, vit entre la France et l’Italie. J’évoque mon travail poétique, il semble intéressé. Je lui parle de mon projet en cours sur le jazz, il reste attentif. Je lui dis être à la recherche d’un musicien pour accompagner mes poèmes et mes photos, il me répond du tac au tac qu’il en connaît plusieurs et me parle d’un certain Francesco Bearzatti, un autre Italien. Étrange, l’Italie entre à nouveau dans ma vie mais je ne m’en rends pas encore compte.
Ce jazzman m’est inconnu mais je connais peu de noms d’interprètes. Je connais davantage leurs musiques. Il me propose de me le présenter. Je cherche ce musicien sur internet pour écouter son travail. Je découvre sur youtube toute une série de ses concerts saucissonnés et je me rends compte que sa musique répond exactement à mes envies. J’entends le même rythme musical que celui que j’imagine en composant mes poèmes : ce tempo façon respiration destructurée quand, essoufflé, je ne sais pas vraiment où je vais, ni comment cela s’arrêtera. Ces sons illustrent parfaitement l’état d’entre-deux où je me trouve régulièrement, cet élan vers quelque chose de toujours plus inaccessible qui oscille entre composition, interprétation et improvisation. Tout en travaillant sur mes dossiers je fais tourner en boucle les musiques de Francesco Bearzatti. Je m’imagine sans difficultés dialoguer avec ce musicien. Je finis même par croire que je le connais, tellement je l’ai entendu et vu sur la toile. Internet fait beaucoup pour créer l’illusion que des inconnus nous sont proches…