…Puis un jour j’ai eu rendez-vous avec Jean Vuarnet. Cet homme qui m’impressionnait tant quand j’étais petit. Jean Vuarnet avec sa grosse voix, sa pipe, sa barbe et son chapeau de cow-boy.
Me voilà dans le train vers Morzine. Je suis seul. C’est un vendredi soir. Tout devrait-être calme et pourtant une inquiétude monte en moi. D’où vient-elle ?
Je vais faire le portrait de ce champion de ski qui a inventé la position de l’œuf. Cette position que l’on a tous essayée pour aller vite. Tout shuss en se prenant pour un champion. Je vais faire le portrait du père de mon ami qui n’est plus, qui est parti, ailleurs, avec sa mère. Je vais faire le portrait d’un personnage, d’un homme connu, qui m’impressionne toujours. C’est pour cela qu’une inquiétude m’a envahi, ce soir-là, dans le train. Et qu’elle m’a difficilement lâché ensuite.
Le lendemain matin, après m’être perdu, je me retrouve devant la porte de son chalet. Mon état n’a toujours pas changé. Je sonne. Le temps est long. Une silhouette s’approche lentement. Il ouvre la petite porte du jardin. Je me présente. « Je suis le fils Blanc, me reconnaissez-vous ?« . Jean me répond que « non« , que « j’ai bien changé« . Moi je le reconnais. Il est resté le même avec son regard profond. Le même que la fois où j’avais skié avec lui et sa femme Edith. Le même que la fois où j’avais dîné dans son chalet peu avant le festival d’Avoriaz. Le même que celui de mes souvenirs d’il y a 10 ans. D’il y a 20 ans. D’il y a 30 ans.
Il m’accueille dans son bureau. Je lui raconte que je voulais l’immortaliser avec la photo qui ornait l’entrée du téléphérique quand j’étais petit. Que je l’ai cherchée pendant 6 mois. Brûlée en même temps que l’ancienne gare du téléphérique pour certains. Pour d’autres, récupérée par son propriétaire qui a perdu la tête depuis. Personne ne savait vraiment où elle était. Même son fils ne s’en souvenait pas. Il me regarde avec son sourire coquin. Monte dans le grenier de son bureau et redescend avec. Je peux enfin faire la photographie que j’imaginais. Le Jean Vuarnet de mon enfance aux côtés du Jean Vuarnet d’aujourd’hui. Ce Jean, une petite liste à la main où il a répertorié ses différentes victoires. J’ai shooté. L’image était maintenant dans la boîte.
Puis le temps s’est arrêté. Nous avons discuté plus de deux heures. Je lui ai dit aussi que je voulais d’une manière ou d’une autre rendre hommage à son fils. A mon ami Patrick. Il m’a écouté. A accepté sans plus de mots qu’il n’en faut. Comme toujours avec lui.
Tout au long de cette matinée il s’est laissé faire. Il s’est donné et j’ai pris. Puis je me suis éclipsé. J’étais tellement heureux de cette rencontre simple avec cet homme complexe.
Le soir j’ai dormi à nouveau dans le train. Je voulais absolument être présent pour l’anniversaire de ma femme qui avait lieu le lendemain. Je n’allais rater cela pour rien au monde.
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