C’était un 11 février, le jour de mon anniversaire, il y a quasiment 11 ans à quelques jours près, et le cadeau que je me faisais sans l’avoir encore identifié comme tel était de passer plusieurs heures chez Robert Massin.
Massin, comme il se faisait appeler, est un graphiste incontournable d’une époque “d’avant”, où l’ordinateur n’existait pas.
Massin, dont m’avait parlé Henri Steiner, un autre graphiste étonnant que j’ai connu à Hong Kong en 1993 lors de mon tour du monde, et qui a réalisé des créations visuelles comme le logo de la HSBC, ou le billet de banque de Hong Kong.
Massin, qui était le graphiste attitré de Gallimard ou Massin, qui avait imaginé un livre-outil capable de donner accès aux Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau qu’il faudrait bien plus d’une vie pour lire en entier.
J’ai rencontré ce jour là un homme plein d’histoires à raconter, ou plutôt à transmettre à celui qui venait le photographier.
Un homme qui avait rencontré les plus grands écrivains, avait travaillé avec eux ou pour eux, et était devenu l’ami de certains, avec qui il entretenait une riche correspondance.
Un graphiste qui avait inventé des techniques improbables pour arriver à ses fins visuelles, comme utiliser un préservatif pour déformer une image à l’aide d’une photocopieuse dans le seul but de réaliser les illustrations de La Cantatrice Chauve. Un vrai graphiste en somme, qui avec trois bouts de ficelle traduisait une idée avec brio.
Puis il m’a fait faire le tour du propriétaire et j’ai pu découvrir une collection étonnante d’affiches punaisées à même le mur, comme l’affiche originale (et unique) de Raymond Devos par Savignac, qui n’est jamais sortie pour cause de refus du producteur.
Mais aussi une aquarelle de Raymond Queneau, une composition typographique en lettres de bois et un soutien-gorge en forme de packaging d’ampoule, ou l’inverse.
Trois ans plus tard, toujours au mois de février, je revoyais Massin à deux reprises le même samedi. Tout d’abord le matin, lors d’un colloque universitaire sur Raymond Queneau où je lui offris les quelques photos que j’avais faites de lui et de chez lui ; puis le soir lors d’une exposition, où certaines de ses réalisations étaient mises en scène d’une manière grandiose dans l’atelier de son ami, l’illustrateur Serge Bloch.
Aujourd’hui j’ai appris sa disparition. Nous sommes encore en février. Le 8.
Je repense aux quelques petits bouts de souvenirs qu’il m’a confiés en évoquant ses inspirations et ses rencontres. Ce tout petit bout de sa vie qu’il m’a offert au travers de mon objectif, en passant. Ces petits bouts ont fait vibrer pour toujours le graphiste que je suis.