Pour les trois ans de cette aventure commune partagée avec des passionnés de jazz, avec les aficionados des Sunday jazz loft et avec les dubitatifs de cet événement aussi étrange qu’improbable, Francesco Bearzatti, le maître de musique, a invité un accordéoniste à se joindre à lui. C’est avec Camine Ioanna qu’ils ont défriché des chemins où l’inattendu s’est vite transformé en détonant, inimaginable et sur-puissant.
Vous y étiez, vous le savez. Pour les autres, il reste encore quelques photos de ce voyage dans une Europe musicale, à coup de paysages réappropriés par ces deux phénomènes qui se réinventent à chaque virage sonore.
Cela faisait déjà longtemps que Francesco voulait jouer avec un accordéoniste sans avoir trouvé chaussure à son pied, ou compatibilité de dates, voire un peu des deux.
Combien de fois, lors de nos traditionnels déjeuners dans le quartier chinois de Belleville, autour d’assiettes de raviolis grillés, il regrettait le refus de tel accordéoniste pour cause d’agenda surchargé.
Combien de fois ? Ce n’est arrivé que deux fois de partager les raviolis grillés de Belleville (qui sont d’ailleurs excellents). La dernière fois, je sentais bien que cette idée l’obsédait, autant qu’un Sunday jazz loft peut l’obséder à la hauteur de pas grand-chose sur l’échelle de ses concerts mensuels. Je savais toutefois qu’il finirait bien par pousser le destin dans ses retranchements les plus harmoniques.
Ce fut ce dimanche-là, le 28 janvier 2018. L’heureux élu pour les trois ans de la création des Sunday jazz loft fut Carmine Ioanna, comme si Francesco avait choisi cette date pour nous souffler du phénoménal.
Quelques semaines auparavant, j’avais découvert sur la toile un concert rapprochant les deux musiciens. Ce fut pour moi un véritable avant-goût de leur duo, où chacune de leurs propositions les embarquait beaucoup plus loin que ce que notre imagination est prête à concevoir. Et pourtant aux Sunday jazz loft nous ne sommes pas avares de délires en tous genres.
Ce fameux dimanche, à l’heure dite, le piano du pauvre tout de neuf vêtu attendait l’arrivée de ces deux personnages hors-norme au centre du loft, dans l’espace surbooké comme jamais…. Peut-être les mélomanes et autres amoureux de Francesco avaient-ils été tenus au courant, par anticipation et dans un autre espace temps, de la qualité à venir de cette rencontre.
A peine arrivés face à nous, les deux musicos se sont glissés immédiatement dans une connivence exacerbée, dans un quelque chose qui dépassait le simple dialogue. Ils ne formaient qu’un, une même voix à deux organes, offrant des propositions opposées, et pourtant se croisant, avant de sauter vers un autre registre puis une musique venue d’ailleurs, rebondissant vers des couleurs somme toute improbables. Thèmes classiques ou tsiganes, yiddishs ou traditionnels, ce fut quelque chose comme cela… Plus que des réinterprétations, de véritables recréations en live. Parfois ils ne savaient pas exactement ce qu’ils jouaient, ce fut même le public qui donna le titre d’un des morceaux réinventés.
Et là, vous n’avez que le point de vue d’un mélomane du dimanche après-midi et sa retranscription de néophyte. Alors tentez d’imaginer ce que nous avons vécu… dans la vraie vie. Mais cette expérience commune est-elle partageable autrement qu’avec des instruments de musique ?
Comme à chaque fois, vers le début de soirée, au moment où plus personne n’a envie que la danse des sons ne s’arrête, Francesco a proposé aux musiciens présents dans le loft de venir les rejoindre. À mon grand plaisir, Eric Capone puis Antoine Hervé ont roulé leurs doigts avec brio sur notre piano d’étude, puis François Pétavy, notre amateur préféré, s’est à son tour prêté au jeu, avant que je ne dise, au rythme de l’accordéon, deux de mes poèmes revisitant le Sunday jazz loft précédent.
Avant d’atterrir totalement, nous avons plané dans un after à la hauteur du concert. Accompagnée au piano par sa fille Frida Bollani, Petra Magoni, une chanteuse à l’énergie débordante, nous a embarqués dans une deuxième partie de soirée magnifique, pendant laquelle un pianiste s’est mis à l’accordéon, un saxophoniste au piano, un Thierry Eliez au piano ce qui est plus normal, sans parler des voix de chacun qui se sont déliées dans une bonne humeur généralisée.
Alors la prochaine fois, on remet ça avec vous. Ce sera le 1er avril.