En 1995, alors que je venais de connaître la jeune fille qui allait devenir ma femme, je suis parti en vacances jusqu’au fin fond de l’Italie du Nord, avec mon “deuxième meilleur ami”, comme je me faisais un plaisir de le définir, pour l’agacer un peu. Nous sommes allés faire une surprise à la femme qui avait été la nounou de ma mère, avant d’être celle de ma sœur, et par voie de conséquence la mienne.
J’étais le seul à ne pas être encore venu la voir, Maria – de son vrai nom Marie – chez elle, en Italie. Je ne voulais pas m’y rendre tant que je n’étais pas capable de la prendre en photo. Pourquoi, je ne m’en souviens plus.
C’est pourtant ce que j’ai fait cette année-là, en réalisant mon premier vrai reportage, en argentique, au Leica. Trente bobines de film pendant lesquelles Maria ne cessait de dire avec son petit accent zozotant, “tu gâSSes de la pellicule, tu Zettes ton arZent par les fenêtres en me photographiant, moi qui suit moSSe”.
Elle ne pouvait pas comprendre l’intérêt que je lui portais en venant la retrouver, chez elle, pour parler d’elle, pour une fois. Elle ne voyait pas non plus la beauté qu’elle avait en elle, cette beauté d’enfant.
Vingt ans plus tard, mon fils et ma femme jouent dans une pièce de théâtre. Ils me demandent de réaliser leur flyer. Ne pouvant pas utiliser l’image qu’ils avaient choisie, je repense à cette photo de Maria, avec sa sœur et une autre sœur, religieuse celle-ci. Elle pourrait très bien correspondre à l’ambiance du spectacle. Une image qui ne m’a jamais quitté. Je la leur propose, ils acceptent.
Je suis heureux de pouvoir redonner un souffle de vie à Maria, à Yaya, le temps d’un flyer et d’une affiche, pour trois représentations d’une pièce de théâtre. Un bout d’existence à cette femme si discrète, qui reste ancrée depuis toutes ces années dans mes souvenirs les plus intimes.
Elle qui n’aurait pas aimé se retrouver sur le devant de la scène, mais qui aurait fini par accepter, pour nous, ses petits, comme le jour où je lui avais dit que j’allais réaliser un livre de photos sur elle, pour le mariage de sa cocotte, pour ma reusse Rové. Elle n’avait pas compris pourquoi je l’avais choisie, elle, et elle répétait en boucle : “il y a des personnes bien plus intéressantes que moi”. Pourtant elle avait fini par se laisser convaincre, Maria, le témoin de ma sœur à la mairie.
Ce fut d’ailleurs peut-être la seule fois où elle n’aura pas pu se cacher au fond de la salle pour ne pas déranger, elle qui ne me dérange toujours pas, par sa présence imaginaire puisée au fond de ma mémoire de tout petit garçon. Ce fond sans fin de souvenirs enfantins.
15 après… Je reste sans mot pour Maria, ma Yaya a qui j’avais tant à dire. Comme c’est beau que tu lui donnes vie encore une fois…
Superbes photos, magnifiques textes… une belle histoire, très poétique et touchante… continue Frèd, biz is@