Les jours passent et le Sunday jazz loft commence à s’effacer lentement de ma mémoire, par petites bribes de notes successives. Avant que ce concert ne vienne s’y mélanger aux autres, je vais tenter de fixer les derniers bouts de souvenirs encore en ma possession.
Une fois de plus ce Sunday jazz loft était unique, à l’image des dix premiers, mais aussi très différent. Tout d’abord par l’absence de Francesco Bearzatti avec qui j’ai l’habitude de jouer avec ce qui arrive par hasard. Il a cédé sa place à son invité Régis Huby, qui à son tour a invité Bruno Chevillon. Ce fut donc un concert à deux invités, deux complices récidivistes en expérimentation “live”. D’un côté un violoniste totalement fou, de l’autre un contrebassiste qui l’était tout autant.
Notre regard a tout de suite été happé par le spectacle quasi hypnotique qu’ils nous ont offert.
Des improvisations totales se sont succédées pendant plus d’une heure, où l’un tirait sur ses cordes pendant que l’autre les faisait crisser, grincer, chuchoter à deux archets, quand le premier ne jouait pas avec un crayon noir, petit et bien taillé. Et quand l’un débordait sur un flanc, l’autre lui emboîtait le pas, ou décidait de s’engager ailleurs, dans un chemin de traverse d’où tout fléchage directionnel était absent.
Étonnant voyage.
Quand parfois nos oreilles se perdaient en chemin, c’étaient nos yeux qui prenaient la relève pour se laisser aller à regarder grandir cette complicité au travers de mouvements tout aussi sonores, de gestes tout aussi inattendus et d’outils tout aussi producteurs d’harmonies expérimentales.
Un autre point de vue sur le jazz s’est alors imposé à nous sans laisser personne sur le bord de la route.
Pour ma part, j’ai été assez secoué et je n’arrivais pas à exprimer mon ressenti. Ne pas savoir quoi en penser m’a tout d’abord dérouté, alors j’ai sorti mon œil de mon appareil photo et je suis allé parler avec les musiciens pour comprendre ce que mes oreilles n’avaient pas toujours su décrypter.
Une longue conversation a démarré avec Regis Huby. Nous avons échangé sur bien d’autres domaines que celui du jazz : le mélange des goûts, l’ouverture d’esprit, le désir de tenter toujours plus ou autrement, sans jamais fermer une porte. Ces ouvertures qui donnent vie à l’état d’être particulier qui est celui du jazz.
C’est tout cela que j’ai entendu sans arriver à le discerner dans un premier temps, que j’ai effleuré dans un deuxième, que je croiserai à nouveau j’espère lors d’une de leurs expérimentations futures.
Puis la soirée a continué son chemin, comme les autres fois, mais sans Francesco, lui qui me donne une dynamique particulière. Alors il a fallu que je fasse encore plus confiance à mon instinct, j’ai joué “carte blanche”.
Mon camarade sera là la prochaine fois pour un autre Sunday jazz loft tout aussi différent.
Je ne vous remercierai jamais assez pour votre présence, celle qui fait exister cette aventure enjazzée.