Quand Francesco m’a appelé, il y a bientôt un an, pour m’informer qu’il souhaitait que les Sunday jazz loft reprennent, en dehors du fait que j’étais excité par cette bonne nouvelle, j’ai trouvé cela bizarre d’avoir eu la même idée deux jours auparavant.

Les souvenirs du dernier concert étaient déjà bien loin. Un SJL sur le thème de “l’envie” dans un croisement accordéon-sax ou accordéon-clarinette avec une date à la beauté toute typographique et impossible à oublier : 02 02 20.

Puis un grand vide. Du rien local, national, mondial, sans date de péremption.

Soit plus de deux ans sans ressentir le frisson de l’arrivée des Sunday jazz lofters. La peur qu’ils ne soient pas au rendez-vous. L’inquiétude de ne pas avoir le temps de tout organiser comme il se doit avant le plaisir intense de goûter une nouvelle expérience bearzattienne, suivie de l’excitation post-concert. Et la joie finale des rangements incontournables, tout en se rappelant des beaux morceaux de partages, aussi bien artistiques qu’humains.

Vous devez comprendre, vous qui avez goûté à au moins une de ces messes italo-locales.

J’avais imaginé, tout au long de cette période un rien élastique, que la reprise des SJL aurait lieu quand nous ne porterions plus de masques. La fréquence à laquelle j’entendais la petite phrase – “À quand le prochain Sunday jazz loft ?” – grandissait d’une manière exponentielle. Francesco ressentait le besoin d’y retourner, et moi avec. Le 19 juin dernier nous nous sommes donc retrouvés dans les murs du loft réaménagé façon “vous êtes les très bienvenus”.
Il fallait frapper fort. Pour cela nous avons tout d’abord décidé de ne plus réaliser que deux SJL par an, pour que Francesco puisse concrétiser des expérimentations musicales aussi inattendues que désirées.


Et voilà qu’il a voulu jouer du “bizarre à la Monk”. Vous voyez ce qu’est du bizarre ? Vous voyez qui est Monk ? Pour cela il fallait au moins être accompagné par le maître de la question, celui qui connaît le sujet sur le bout de ses doigts de pianiste et d’écrivain : l’auteur de “Monk“ dans la collection Folio. Rien de moins bizarre, Laurent de Wilde a tout de suite accepté l’invitation à jouer cette partition avec Francesco.


Ces deux musiciens qui n’avaient jamais échangé de la note sont partis dans des dialogues incroyablement sensibles, où l’un donnait la réplique à l’autre sans aucun échauffement préalable et avec une telle connexion qu’on aurait pu croire qu’il se connaissaient depuis toujours. Rien de moins bizarre.
Quelques titres de Monk sur un petit bout de papier et l’envie de partager, entre eux mais aussi avec le public. Rien de moins bizarre quand Laurent de Wilde, le pianiste des deux, nous a raconté des anecdotes sur Thelonious, que Francesco le saxophoniste clarinettiste écoutait avec un délicieux regard, respectueux de celui qui sait.


À deux ils ont fait basculer le concert dans une dimension inconnue où la personnalité de l’homme au chapeau et aux notes dissonantes planait au-dessus des interprètes, sans rien dire, avec ce plaisir non dissimulé de les entendre jouer sa musique. Et pas n’importe comment. Rien de moins bizarre me direz-vous ?


Nous le public, nous voulions un morceau de plus, juste encore un. À peine la clarinette lâchée, le sax était repris avec plus de tonus, aux côtés du piano dont le son pénétrait dans chaque interstice du loft en jazz. Puis la clarinette est venue reprendre la parole monkienne en duo.


“Place au théâtre !” a ensuite clamé Francesco. J’ai pris leur suite, l’air bizarre paraît-il, perdu dans un texte oublié. La tête de ma fille Esther, en souffleuse, apparaissait parfois derrière moi, ce qui a déclenché plus d’un rire galvanisant avant qu’elle ne m’aide dans cette tâche prétendument insurmontable : interpréter un texte faussement oublié. Pour la première fois l’invité a improvisé avec Francesco sur mes deux poèmes. Dans ma vision périphérique j’ai distingué leur connivence toujours grandissante.

Fin de l’intermède poétique. Elia (mon fils pour ceux qui ne le savent pas encore) est alors apparu dans un sketch où il s’est mis à conférencer sur le bizarre à la Monk, en se référant à l’ouvrage de l’auteur qui était juste là, à ses côtés, en posture post-jeu, un petit sourire de curiosité aux lèvres.

Dans un discours revisité perso, notre stand-upper s’est laissé aller à des glissements maîtrisés, des variations de tons, juste ce qu’il fallait avant de s’arrêter brusquement sur une touche finale où Laurent de Wilde a apporté un petit supplément de bizarre. Voilà qu’Elia Blanc commence à se sentir à l’aise dans un style qui transpire sa personnalité en construction. Ça promet pour les prochains SJL. Dérapages en tous genres assurés.

Et voilà me direz-vous, c’était déjà terminé. N’oubliez pas les fromages, tartines, vins et desserts, avant la direction after !

Un duo où Ludovic de Preissac s’est amusé au piano avec un Francesco tranquillement affalé dans un canapé, chemise ouverte, lunettes de soleil sur le nez et clarinette ou sax en bouche. Je ne me souviens plus très bien. En fait je ne me souviens plus de grand-chose. C’est bizarre.

Vivement le prochain… que tout cela me revienne, et que vous aussi, vous reveniez ! Nous vous attendons le 7 mai.