Moins de trente minutes avant le début du 19e Sunday jazz loft, Francesco est sur place. Les premiers invités arrivent déjà, en avance, et s’installent tranquillement.
Je sais qu’il y aura beaucoup de monde pour cette session, peut-être même plus que jamais. Les inscriptions ont été abondantes, ce qui est d’autant plus étrange que nous étions le week-end de Pâques. Normalement Paris se vide lors d’un week-end prolongé. Cela semble inversement proportionnel pour les Sunday jazz lofts.
Peut-être que le nom d’Alain Jean-Marie y fut aussi pour quelque chose. Pianiste renommé, ayant joué avec les plus grands comme comme Chet Baker ou Max Roach, il est très apprécié sur le sol français. C’est avec lui que Francesco va jouer.
C’est un homme discret qui se faufile doucement entre les chaises en quinconce. Après avoir choisi sur quel tabouret il souhaitait s’installer face au piano, c’est avec une élégance toute particulière qu’il murmure des bribes de morceaux afin de se caler avec Francesco.
J’ai à peine le temps de prendre quelques photos que les voilà déjà en totale symbiose. Je devrais avoir l’habitude depuis le temps. Pourtant cette capacité exceptionnelle des musiciens de jazz à se “préparer” ainsi m’étonne toujours.
La salle se remplit. Mes pronostics se confirment, elle est bondée. Sur des chaises, tabourets hauts ou bas, marches d’escaliers et même en posture debout, ils sont tous venus, et même plus, en comptant certains compères musiciens et chanteurs ayant fait la surprise à Francesco de leur présence.
Tout s’enchaîne rapidement. Matthieu n’étant pas libre ce jour-là, Elia, qui est accessoirement mon fils, est à la caméra principale – c’est une première -, moi à la caméra secondaire sans pour autant lâcher mon boîtier photo. A peine présentés, les musiciens, face public, la verrière dans le dos, basculent dans un jazz assez classique, qui porte toutefois en lui quelque chose de différent. Un rythme particulier, personnel, celui d’Alain Jean-Marie, je l’ai compris par la suite. Francesco est très concentré pour ne pas trahir les directions empruntées par le pianiste. Des sons que je n’avais jamais entendus auparavant sortent du saxophone. Je suis interloqué.
Il émane des musiciens une douceur sonore qui perdure de morceau en morceau. Aucune des salves d’applaudissements, aussi expressive soit-elle, n’arrête les doigts du pianiste qui reste absorbé face à son clavier. Le sax se transforme en clarinette et les morceaux se succèdent avec une finesse d’interprétation inégalable.
Avant la fin que personne ne souhaite, Francesco invite Kay Bourgine qui nous chante une composition de son cru, dans une musicalité tout en subtilité. Quand Thierry Peala vient chanter à son tour, Alain Jean-Marie chuchote ses notes pour donner toute sa place à la délicatesse de ses cordes vocales. Nous sommes aux anges.
Avant que l’on ne ferme la 19e session avec mes deux poèmes enjazzés, Thierry Eliez vient endiabler notre piano d’étude qu’il connaît déjà fort bien. Pour la première fois, je lis mes poèmes accompagné par la clarinette de Francesco, j’ai plutôt envie de dire soutenu, propulsé par elle… et c’est grisant. Mais comment fait-il pour arriver à coller autant à mes mots, à mes intentions cachées, alors qu’il n’a entendu ces deux poèmes qu’une seule fois, rapidement, quelques heures auparavant ?
Je passe l’épisode du traditionnel chapeau, du rangement des chaises et de l’arrivée du buffet pour nous retrouver quelque temps après, quand il ne reste plus qu’une vingtaine de personnes. Francesco ressort sa clarinette, un Thierry se remet au piano tandis que l’autre Thierry se prépare à chanter.
Elia et moi attrapons les caméras ; Esther, ma fille, qui pendant le concert filmait le public avec un iPad, le reprend pour capter nos trois amis en train de se glisser dans un jazz débordant de vie et de folie. Une dernière impulsion de bonheur partagé clôture ce nouveau Sunday jazz loft…
Il paraît que nous n’en aurons pas d’autre avant l’été. Francesco est très pris en juin…