Le jour d’après un Sunday jazz loft n’est définitivement pas un jour comme les autres. Je peux vous en parler en connaissance de cause, j’étais présent lors des 15 précédents puisque que je les organise.
Il faudrait être totalement malade pour passer 15 jours à mettre au point, dans les moindres détails, ces après-midis dominicales, si élastiques qu’elles s’achèvent au beau milieu de la nuit, et ne pas y assister.
Être malade pour partir quand les invités arrivent, pour cause de fatigue extrême et parce que : “quand même je travaille tôt demain et il faut accompagner les enfants à l’école”.
Être malade pour quitter ce lieu festif grâce à un mot d’excuse de ma femme qui atteste que je ne raconte pas n’importe quoi malgré mon état visiblement pas net.
Être malade pour guetter le dernier départ des invités, caché dans le sombre de la rue d’en bas du loft, puis remonter en catimini afin de ranger l’appartement dans la solitude du vide d’après fête.
Il faudrait être malade.
Ces lundis post concerts, hors du temps, sont comme toujours accompagnés d’un silence particulier, donnant un goût étrange à cette journée en devenir autrement, à la vitesse d’un “j’ai du temps pour me laisser aller à me souvenir”.
Ces matinées rythmées de silences de vie, aux images sonores, défilent dans un ralenti de mémoire pas toujours si clair.
Hier quand nous nous trouvions tous ensemble pris dans le tourbillon du Sunday jazz loft, elles allaient bien trop vite toutes ces sensations superposées qui auraient pu s’annuler, s’il n’y avait pas eu le jour d’après pour se rappeler à la réalité de ce passé encore tout chaud d’un jazz généreux.
Pourtant, plus ce lundi avance dans sa journée pas aussi sérieuse qu’elle devrait, et plus les faits de la veille s’obscurcissent. Ce qui reste incroyablement vivant, c’est cette énergie positive, qui pousse à y retourner au plus vite, au Sunday jazz loft.
Revivre ce dialogue, si éclatant, entre deux bouches en sax, baryton et ténor, puis alto et ténor, où l’évidence de parler la même langue s’est jouée devant nous, dans cette culture européenne, portée par Francesco Bearzatti et Jean-Charles Richard.
Se faire perdre à nouveau dans la finesse du toucher pianistique de Nicola Sergio, avec une tendresse d’interprétation qui ressemble, pour ce que j’ai pu découvrir, au caractère de l’homme.
Repartir mentalement, dans une jam totalement débridée, avec cette liberté vocale de notre chère Camille Bertault, et l’intensité du jeu de Thierry Eliez, qui aime tant pousser dans ses retranchements notre piano d’étude.
Se laisser caresser à nouveau par les intonations très américaines de Kay Bourgine, qui en plus d’être chanteuse de jazz, est une des fidèles des Sunday jazz loft.
Se souvenir de cette première où un amateur, averti certes mais amateur tout de même, François Petavi, est venu se frotter à cette famille des pros du toujours plus loin…
Se rappeler que c’est long la fin, quand on a le trac de dire deux de ses poèmes, sans les lire. Que le concert est sublime, mais long, mais long quand on a toujours le trac de juste poser ses mots sur la musique d’un Francesco au piano – oui, au piano ! Mais il sait tout faire cet homme-là…
Et goûter à nouveau à l’after, entre happy few, où Patrick Borg, comédien de son état proche de la folie, a lu avec Astrid, madame ma femme, des poèmes de Prévert et de Norge, en alternant les vers. Avec leurs voix si différentes ils ont créé une lecture étonnante, assise sur les notes du… tiens mais c’est à nouveau Thierry Eliez au piano.
Il faudrait être vraiment malade pour vivre tout cela, et que le lendemain d’un Sunday jazz loft reste un jour comme tous les autres.